Cet article est tiré de notre bulletin trimestriel, Canadian Overview, publié par les cabinets canadiens membres de Moore Amérique du Nord. Les articles issus de notre bulletin s’inscrivent dans notre mission de devenir le partenaire par excellence de votre réussite en vous informant sur l’actualité.
PAR AVINASH (AVI) S. TUKREL DE SEGAL LLP
Comme nous le savons, le monde change rapidement et certains événements ne font qu’accélérer ce phénomène, comme la COVID-19 et le contexte politique actuel, avec les prochaines élections aux États-Unis (É.-U.), le départ imminent du Royaume-Uni (R.-U.) de l’Union européenne (BREXIT), les querelles commerciales auxquelles se livrent les superpuissances économiques et le changement climatique, entre autres situations d’urgence qui ont des répercussions mondiales.
La COVID-19, qui a déclenché la plus récente crise sanitaire, a été classée dans la catégorie des pandémies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette pandémie a non seulement eu des conséquences sur la santé individuelle et mis à rude épreuve les systèmes de santé de par le monde, mais elle a également eu des répercussions considérables sur les économies et les marchés financiers internationaux, notamment sur les chaînes d’approvisionnement et la rentabilité mondiales, qui seront perceptibles pendant plusieurs
années.
Tout au début, la Chine a dû fermer ses usines, ce qui a eu une incidence sur les résultats de la production mondiale et occasionné des retards dans la distribution auprès de la clientèle finale. Les fermetures des usines en Chine et les confinements dans les centres économiques stratégiques internationaux ont eu des effets en cascades sur d’autres industries, notamment les secteurs du pétrole et du gaz, du transport aérien, du tourisme d’accueil et du commerce de détail. Les gouvernements de par le monde ont annoncé
des mesures fiscales d’urgence, y compris les Banques centrales qui ont réduit considérablement les taux d’intérêt sur les emprunts afin de protéger leurs économies des effets de la récession.
Alors que l’impact macro-économique de la crise de la COVID-19 continue d’être évalué, il est primordial que les multinationales qui mènent des activités transfrontalières et prennent part à des transactions interentreprises, gèrent leur façon de réagir à ces circonstances. Cela inclut l’évaluation de l’impact que la crise a eu sur leur rentabilité, ainsi qu’une refonte potentielle de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales.
Voici quelques suggestions à envisager du point de vue de l’établissement des prix de cession interne :
1. Revoir les modèles et les politiques d’établissement des prix de cession interne
Si le rendement d’un groupe multinational a subi un impact considérable et si le groupe choisit de restructurer ses opérations en réaffectant ses fonctions, actifs et risques (FAR) afin de mieux gérer sa chaîne d’approvisionnement, il sera important que le modèle et la politique d’établissement des prix de cession interne soient remaniés et mis à jour en conséquence. Si ces remaniements se traduisent par des changements dans le profil de transaction et dans les conditions générales qui régissent les contrats interentreprises (par exemple, une hausse du financement interentreprises et des garanties connexes, une hausse/baisse des prix de vente/d’achat, des interactions dues aux services interentreprises, des négociations des contrats avec les clients, des modifications de conditions de crédit, un impact sur les mouvements de stocks dus, entre autres, aux perturbations de l’approvisionnement), ces changements pourraient se répercuter sur la base d’établissement des prix interentreprises et les rendements des entités sans lien de dépendance attribuables à chaque entité participante. Dans le contexte actuel, on ne devrait pas présumer, si l’entité mère est traditionnellement en charge des fonctions stratégiques, possède les actifs de grande valeur (y compris la propriété intellectuelle) et assume les grands risques (FAR), qu’elle soit la seule à centraliser les pertes à l’échelle du groupe alors que les autres entités demeurent rentables.
2. Établir les profils Fonctions, Actifs et Risques et exécuter une analyse de la chaîne de valeur
Lors de la mise à jour des politiques d’établissement des prix de cession interne et des modèles d’établissement des prix interentreprises, il est essentiel que le groupe multinational exécute une analyse minutieuse de la chaîne de valeur afin de refléter les changements qui pourraient s’être produits dans les fonctions stratégiques, la propriété des actifs et l’acceptation des risques de chaque entité.
3. Procéder à une analyse économique
L’un des principes clés à observer quand on exécute une analyse économique pour déterminer la fourchette de rendement des entités sans lien de dépendance afin de corroborer la position d’un contribuable, est de tenir compte des événements importants et de revoir cette analyse. La pratique traditionnelle de mise à jour d’un repositionnement aval avec actualisation de sociétés comparables, qui consiste à comparer/utiliser des prix selon la méthode de prix comparable de pleine concurrence, ne reflètera probablement pas les réalités économiques les plus actuelles auxquelles le groupe multinational fait face.
- Pour cela, les contribuables devront peut-être envisager les options suivantes :
- Réaffecter les FAR et utiliser la méthode du partage des bénéfices – les contribuables pourraient envisager d’adopter l’approche du partage des bénéfices et d’affecter les profits/pertes, selon le cas. Toutefois, si l’on adopte cette méthode, il est primordial de réunir plusieurs conditions (rigoureuses) et d’établir clairement la valeur générée par chaque partie concernée, ce qui découlera sur l’affectation des profits/pertes. Une approche trop simple de l’adoption de la méthode du partage des bénéfices aura non seulement de fortes chances d’attirer l’attention, mais il sera également difficile d’en corroborer le bien-fondé et d’appuyer la nature « sans lien de
dépendance » d’une telle affectation. - Étalons comparables généralement non rentables – lorsque l’on exécute une étude d’étalonnage pour identifier un ensemble comparable, il faudra peut-être revoir l’approche consistant à rejeter catégoriquement les sociétés généralement non rentables.
- Utilisation de la méthode de prix comparable de pleine concurrence – lorsqu’un contribuable s’appuie sur des étalons de prix en utilisant la méthode de prix comparable de pleine concurrence, il est important que les cinq facteurs de comparabilité soient évalués dans le contexte de tout changement et de déterminer si la comparaison des prix demeure appropriée.
- Réaffecter les FAR et utiliser la méthode du partage des bénéfices – les contribuables pourraient envisager d’adopter l’approche du partage des bénéfices et d’affecter les profits/pertes, selon le cas. Toutefois, si l’on adopte cette méthode, il est primordial de réunir plusieurs conditions (rigoureuses) et d’établir clairement la valeur générée par chaque partie concernée, ce qui découlera sur l’affectation des profits/pertes. Une approche trop simple de l’adoption de la méthode du partage des bénéfices aura non seulement de fortes chances d’attirer l’attention, mais il sera également difficile d’en corroborer le bien-fondé et d’appuyer la nature « sans lien de
4. Employés et accords frontaliers
Les accords frontaliers touchent le personnel clé (employés), et il est par conséquent crucial que les groupes multinationaux évaluent l’impact des changements qui sont actuellement apportés aux lois sur l’immigration dans le cadre d’une crise comme celle de la COVID-19. Ces changements auront un impact direct sur les employés détachés dans d’autres pays, ainsi que sur les accords interentreprises en question. De plus, si les employés qui voyagent pour des raisons professionnelles ne peuvent pas retourner dans leur pays en raison de restrictions sur les voyages et d’avis de sécurité qui justifient la conclusion de contrats de travail à longue distance, de tels contrats pourraient se traduire par des établissements stables pour le groupe multinational. Quoique l’Agence du revenu du Canada (ARC) ait décidé qu’il n’y aurait pas d’établissement stable si les employés sont au Canada en raison de restrictions de voyage, cette prise de position peut varier selon le pays.
5. Gouvernance et mise en œuvre des changements
Lorsque les groupes multinationaux apportent des changements au modèle et à la politique d’établissement des prix de cession interne, ces changements
devraient immédiatement se répercuter dans les accords interentreprises, les documents comptables interentreprises et les factures, et les groupes devraient s’assurer que les rajustements de fin d’année requis sont appliqués avant la clôture de l’exercice ou avant de produire la déclaration de revenu annuelle, afin de refléter les faits et les circonstances courants.
6. Documenter l’incidence sur les activités
Si les groupes multinationaux ont apporté des changements à leur modèle et à leur politique d’établissement des prix de cession interne, ou ont subi les conséquences négatives de la crise de la COVID-19, il sera impératif que les contribuables puissent formuler de tels changements ou les raisons de tels changements en matière de rentabilité dans leur documentation annuelle d’établissement des prix de cession interne. Bien que cela puisse varier selon le secteur d’activité, il sera essentiel de documenter tout écart de rendement en premier lieu pour défendre la nouvelle position d’établissement des prix de cession interne auprès des autorités fiscales. Autrement, si un contribuable procède à l’arrangement préalable en matière de prix de transfert(APP), il devrait modéliser et documenter l’impact sur les activités car cela sera considéré comme un changement aux hypothèses cruciales sous-jacentes sur lesquelles l’APP est/sera basé.
7. Gérer les obligations d’établissement des prix de cession interne
Si un groupe multinational doit préparer et remplir une déclaration pays par pays ou se conformer à des obligations de notification en matière de déclaration pays par pays, à des déclarations d’établissement des prix de cession interne locales, ou remplir un fichier principal de groupe, il devra surveiller tout changement dans les dates limites de dépôt des déclarations (elles pourraient être repoussées à court terme). De telles déclarations devraient comprendre tant l’information quantitative (rajustements, sommes radiées, aliénation d’actifs, etc.,) que l’information qualitative relative à l’impact sur les activités du groupe multinational. Si une ou plusieurs entités font l’objet d’une vérification d’établissement des prix de cession interne, il est important de gérer en conséquence les dates limites auprès de l’autorité fiscale et de convenir de tous les retards de présentation de l’information requise.
8. Autres taxes
Si un groupe multinational restructure ses opérations en raison de l’impact de la COVID-19 et que les transactions interentreprises fassent l’objet de retenues fiscales, de la taxe sur les produits et services (TPS)/taxe de vente harmonisée (TVH)/taxe sur la valeur ajoutée (TVA), etc., il sera crucial que l’effet de ces taxes soit évalué au moment de procéder aux changements. Autrement, si un groupe multinational quitte un certain marché, il devra peut-être s’acquitter d’obligations de taxes d’expatriation et de conformité avant une telle clôture ou aliénation.
En ces temps incertains, la gestion des risques de l’établissement des prix de cession interne va devenir cruciale pour les entreprises et les gouvernements. Jusqu’à tout récemment, les groupes multinationaux ont pu observer la vigilance renouvelée que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) exerce sur l’établissement des prix de cession interne et la transparence fiscale dans le cadre du projet BEPS 2.0. Au vu de ce point de focalisation clé continu de la part de l’OCDE et des autorités fiscales internationales, et des crises qui sévissent à l’échelle mondiale comme la pandémie de la COVID-19, les arrangements en matière de prix de transfert devraient attirer de plus en plus l’attention des autorités fiscales et être considérés comme un catalyseur de recettes fiscales permettant d’équilibrer les déficits financiers et à gérer les objectifs de recouvrement de l’impôt.