Article rédigé par Farhan Fazli, CPA chez SEGAL GCSE LLP, dans le survol trimestriel sur l’actualité canadienne, un bulletin publié par les cabinets canadiens membres de Moore Amérique du Nord. Cet article portant sur les multiples d’évaluation, s’inscrit dans notre mission, soit devenir le partenaire par excellence de votre réussite en vous tenant informé de l’actualité.
À compter du 1er juillet – Les multiples d’évaluation sont généralement mentionnés dans les médias en rapport avec le cours des actions des sociétés ouvertes ou avec les activités de fusion et d’acquisition. Ces mesures d’évaluation plaisent aux propriétaires d’entreprises privées, qui peuvent les comprendre et les appliquer facilement pour estimer la valeur de leurs propres sociétés. Toutefois, lorsqu’on fait ces comparaisons, il faut prendre en compte la théorie qui sous-tend l’utilisation des multiples d’évaluation, les hypothèses sous-jacentes aux différents types de ratios et leur pertinence par rapport à la situation. Les propriétaires d’entreprises doivent également tenir compte de certaines restrictions lorsqu’ils utilisent les ratios relatifs aux sociétés ouvertes pour évaluer une petite entreprise privée.
La théorie qui sous-tend les multiples d’évaluation
L’application de multiples d’évaluation à des entreprises semblables (communément appelée méthode des sociétés ouvertes comparables, ou analyse des entreprises comparables) est fondée sur la prémisse que ces entreprises ont des données économiques sous-jacentes semblables, qui sont évidentes dans leurs mesures financières ou opérationnelles.
En réalité, il n’y a jamais d’entreprise parfaitement comparable. On retrouve en effet toujours certaines différences. La taille, l’offre de produits et de services, la portée géographique, la structure des coûts et la qualité de la gestion peuvent entre autres différer grandement. Par conséquent, il faut faire preuve d’une grande prudence et procéder à une analyse rigoureuse à l’adoption du multiple d’une autre entreprise plus ou moins semblable à la vôtre.
Les multiples d’évaluation sont en effet une forme simplifiée de la valeur actualisée des flux de trésorerie. Mathématiquement, le multiple correspond à l’inverse du taux de capitalisation, défini comme « r − c », où « r » représente le taux de rendement requis et « c », le taux de croissance à long terme. Ainsi, un multiple d’évaluation est essentiellement un dérivé de l’équation de la perpétuité dans le cas d’une entreprise durable qui jouit d’un taux de croissance constant. De ce fait, les multiples peuvent être d’une utilité limitée lorsqu’une occasion d’affaires a une courte durée de vie ou lorsqu’une entreprise anticipe une croissance (ou une contraction) importante pendant quelques années.
Types de multiples
Multiples de valeur d’entreprise
La valeur d’entreprise, ou VE, est la valeur totale d’une entreprise comprenant toutes formes de capital, incluant les dettes avec intérêts et les capitaux propres. Les multiples les plus communs utilisés en dérivation de Valeur d’entreprise se basent sur le revenu et le BAIIDA.
Le revenu et le BAIIDA sont tous deux une estimation du flux de trésorerie disponible pour toutes les parties prenantes (autant les détenteurs d’actions que les dettes), ce qui correspond à la définition de VE. Les multiples de VE sont très largement utilisés dans les évaluations, comme ils sont neutres à la structure capitale et peuvent s’appliquer à toutes entreprises, peu importe leurs choix subjectifs concernant les finances et la structure capitale.
1) Multiples de chiffre d’affaires
La capitalisation du revenu est présumée être atteinte en déployant la dette et les capitaux propres en proportions optimales. Dans cette optique, un multiple de revenu représentera toujours la valeur, autant pour les dettes que pour les détenteurs d’actions, comme la VE. Le multiple de revenu se rapporte comme VE/revenu.
Les multiples de revenus ne sont pas des mesures aussi pertinentes pour le flux de trésorerie, puisqu’ils n’incluent pas les frais d’exploitation, la structure de coût du sujet, ou les entreprises comparables. Ces multiples sont donc plus utiles lorsque les paramètres d’exploitation sont cohérents à travers un secteur (par exemple, les industries réglementées). De plus, les multiples de revenus sont souvent utilisés par défaut, lorsque les indicateurs de profits ou de flux de trésorerie ne sont pas disponibles. C’est pour cette raison que le VE-revenu est aussi souvent utilisé par défaut lors des évaluations de d’entreprises en technologie ou les entreprises émergentes à croissance rapide.
Entreprise | Revenu | BAIIA | VE | Multiples | |
Montant en million | LTM | LTM | Courant | VE/revenu | VE/BAIIA |
Entreprise en technologies médicales | 68 | -25 | 223 | 3,3 | N/A |
Entreprise en technologies de programme d’apprentissage | 134 | -15 | 1 444 | 10,7 | N/A |
Entreprise SaaS | 623 | -164 | 2 616 | 4,2 | N/A |
2) Les multiples de BAIIA
Les multiples BAIIA, tout comme les multiples de chiffre d’affaires, sont un dérivé de la valeur d’entreprise, et c’est parce que le BAIIA reflète les résultats avant les impôts, intérêts et amortissements. Un multiple de BAIIA représente la valeur neutre par rapport à la structure capitale. Le multiple BAIIDA se rapporte comme VE/BAIIA.
Le multiple VE/BAIIA est plus souvent utilisé pour des entreprises plus matures et établies, ayant des niveaux BAIIA plus viables qui reflètent les gains futurs à des taux de croissance plus réguliers. Le tableau ci-dessous résume le BAIIA moyen pour divers secteur S&P 500, au 8 mai 2022 :
Multiples VE/BAIIA par industrie | |
Secteur d’industrie | VE/BAIIA |
Énergie | 6,1x |
Fournisseurs de services | 10,8x |
Matériau | 6,5x |
Industriel | 10,2x |
Biens de consommation discrétionnaires | 11,4x |
Biens de consommation de base | 12,4x |
Santé | 13,2x |
Technologies de l’information | 14,7x |
Services de communication | 8,9x |
*Source : CapitallQ
Bien qu’il ne soit pas parfait, le tableau ci-haut indique une corrélation entre le multiple BAIIA et la croissance de l’industrie, ou les perspectives de croissance, alors que les secteurs avec une plus grosse croissance peuvent obtenir de plus hauts multiples. De plus, il pourrait y avoir une corrélation négative entre le multiple et la quantité requise de réinvestissement capital. Des entreprises étant presque identiques, avec le même BAIIA, mais avec de plus grosses dépenses en immobilisations requises génèrent moins de flux de trésorerie, ce qui n’est pas pris en compte dans les calculs BAIIA.
Multiples de résultat d’exploitation
Le ratio cours/bénéfice (P/E) et le ratio cours/valeur comptable (P/B) sont les multiples les plus couramment utilisés pour déterminer la valeur marchande des capitaux propres d’une entreprise. Dans le cas du multiple P/E, tant le numérateur que le dénominateur se rapportent aux capitaux propres de l’entreprise, où le cours représente le prix d’une action ordinaire, et les bénéfices résiduels attribués aux détenteurs de capitaux propres sont calculés après avoir servi tout intérêt associé aux détenteurs de la dette. Dans le cas du multiple P/B, la comparaison se fait essentiellement entre la valeur marchande des capitaux propres de l’entreprise et sa valeur comptable ou sa valeur historique.
3) Le multiple de revenu net
Les multiples P/E, bien qu’étant un indicateur populaire de la performance d’une action, ne sont pas très souvent utilisés pour évaluer les entreprises privées ou pour fixer le prix d’une transaction impliquant une entreprise privée. Cela est dû au fait que la structure du capital intégrée dans les multiples des entreprises cotées en bourse ne correspondent pas toujours à celle de l’entreprise privée.
De plus, les acquisitions d’entreprises privées sont généralement négociées selon la valeur d’entreprise (EV), ce qui rend l’utilisation d’une méthodologie d’évaluation basée sur la valeur d’entreprise, telle que l’EV/EBITDA, plus pertinente dans le contexte des fusions et acquisitions (M&A).
4) Multiples de la valeur comptable
Le multiple P/B est également une mesure de valorisation utile car il permet une comparaison directe entre la valeur comptable et la valeur marchande des capitaux propres d’une entreprise. Ce multiple est le plus couramment utilisé dans les secteurs disposant d’une importante garantie d’actifs tangibles et est calculé en divisant la capitalisation boursière totale par la valeur comptable des capitaux propres.
L’application des multiples P/B est souvent utilisée dans l’évaluation des institutions financières où figurent d’importants prêts et investissements au bilan. Étant donné que la valeur du portefeuille de prêts au bilan est directement liée aux rendements dictés par le marché, les multiples cours/valeur comptable des institutions financières cotées comparables avec des portefeuilles présentant des notations de crédit similaires sont considérés comme des indicateurs appropriés pour valoriser les institutions financières non cotées. De plus, l’utilisation de multiples EBITDA pour valoriser les institutions financières ne serait pas appropriée car il est souvent difficile de séparer les produits et charges d’intérêts d’ordre opérationnel de ceux liés à la structure de capital.
En revanche, les multiples P/B sont moins utiles lorsque la valeur sous-jacente d’une entreprise repose sur des écarts d’acquisition significatifs ou des actifs immatériels qui ne sont pas toujours adéquatement reflétés dans son bilan.
La pertinence des multiples d’entreprises publiques
On doit soigneusement évaluer si les entreprises publiques et privées sont comparables lors de la tentative d’application des multiples publics à leurs homologues privées. Plus particulièrement, le comparateur public peut mériter un multiple plus élevé pour de nombreuses raisons, incluant entre autres les suivantes :
- Une plus grande taille et des économies d’échelle plus importantes;
- Une réduction du risque en raison d’une gamme plus large de produits et de services, de segments de clientèle et de couverture géographique;
- Un accès plus facile au capital;
- De meilleures perspectives de croissance;
- Une plus grande liquidité associée aux intérêts minoritaires.
De plus, les prix des entreprises publiques peuvent fluctuer de manière significative en raison du sentiment des investisseurs lié à des événements économiques, industriels et politiques transitoires. En conséquence, la valeur d’une entreprise publique à un moment donné peut ne pas refléter sa véritable valeur intrinsèque. De plus, certaines entreprises sont bien médiatisées, souvent sous les feux de la rampe publique et donc suscitent un intérêt important des investisseurs. Toutefois, cet intérêt n’est souvent pas justifié en fonction des résultats financiers récents ou encore des projections financières raisonnables à venir.
Conclusion
Les vendeurs et les acheteurs d’entreprises privées fixent souvent le prix des transactions en se basant sur des multiples de l’EBITDA ou du chiffre d’affaires en raison de leur facilité d’application, ainsi que du fait que ces multiples sont généralement calculés sans les dettes, et que la plupart des transactions se structure sans compter les dette et la trésorerie. Cependant, l’utilisation d’une méthodologie de multiples particulière n’est pas appropriée dans toutes les circonstances, et le choix du multiplicateur basé sur des entreprises publiques similaires, sans une considération adéquate des différences de taille, d’opérations et de rentabilité, peut conduire à des conclusions trompeuses.
Par conséquent, la valorisation d’entreprises privées à l’aide de multiples de marché est un exercice qui doit être entrepris avec prudence et diligence. Cela nécessite une analyse approfondie pour déterminer la pertinence et l’application des multiples d’entreprises cotées en bourse à une transaction sur le marché ouvert impliquant des entreprises privées.
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